MARTHA GRAHAM, ICÔNE DE LA DANSE MODERNE
Crédits photo : Martha Graham par Barbara Morgan
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Martha Graham est l’une des grandes figures de la danse moderne américaine.
Dès le début du XXᵉ siècle, elle apporte une vision nouvelle, libre et émancipatrice du mouvement — une révolution dont l’influence dépasse vite les frontières de New York et des États-Unis.
En créant un langage corporel inédit, Martha Graham transforme la danse.
Elle forme de grands noms comme Merce Cunningham, Paul Taylor ou Twyla Tharp, et inspire aussi des artistes venus du classique ou du cinéma : Margot Fonteyn, Rudolf Noureev, Mikhail Baryshnikov… jusqu’à Liza Minnelli et Madonna.
Pour célébrer le centenaire de sa compagnie, la tournée GRAHAM 100 se déploie en France du 24 octobre au 14 novembre à Roubaix, Lyon et Paris (au Théâtre du Châtelet). Un programme hommage à celle que Time Magazine avait consacrée, en 1998, « danseuse du siècle » – avec la présence exceptionnelle de la danseuse Aurélie Dupont et une création inédite d’Hofesh Shechter : CAVE.
« LE MOUVEMENT NE MENT JAMAIS »
MARTHA GRAHAM
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Pionnière de la danse moderne
Née en 1894 à Pittsburgh, en Pennsylvanie, Martha Graham découvre la danse assez tard. Fille d’un médecin et d’une mère exigeante, elle grandit dans un environnement strict, où le corps s’exprime peu.
C’est à l’adolescence, lors d’un voyage dans l’Ouest américain, qu’elle assiste à un spectacle de Ruth Saint Denis, figure pionnière de la danse moderne. Une révélation. À partir de ce jour, Martha sait qu’elle sera danseuse.
À 22 ans, elle devient élève à la Denishawn School fondée par Ruth Saint Denis et Ted Shawn à Los Angeles de 1915 à 1931. Véritable centre d’expérimentation, on y enseigne le ballet, la danse moderne et les danses inspirées de l’Orient, de l’Antiquité, mais aussi des formes de ballet libre, la musique et la visualisation musicale. Martha Graham devient par la suite danseuse soliste puis enseignante à la Denishawn School
Très vite, ce style trop ornemental ne répond plus à sa quête intérieure. En 1923, Martha Graham quitte la Denishawn School et s’installe à New York. Elle y danse dans des revues de Broadway, puis enseigne au Eastman School of Music, où elle commence à élaborer les bases de sa propre technique — fondée sur la respiration, la contraction et le relâchement.
À cette même époque, elle rencontre son compagnon Louis Horst. Conseiller artistique, pianiste et compositeur, il influence sa compréhension de la structure musicale et l’encourage à chercher une vérité émotionnelle dans ses œuvres.

En 1926, elle fonde sa propre compagnie, le Martha Graham Dance Group, et commence une carrière de chorégraphe. Trois ans plus tard, avec Heretic (1929), elle affirme pour la première fois un langage radical et personnel.
Au départ, la compagnie de Martha Graham est exclusivement féminine. Jusqu’en 1938, la chorégraphe veut explorer la force et l’expérience du corps des femmes, dans un contexte où peu d’hommes pratiquent la danse moderne.
Par la suite, elle ouvre sa troupe à des danseurs qui deviendront, eux aussi, des figures majeures du mouvement : Erick Hawkins, Merce Cunningham et Paul Taylor.
En 1954, la compagnie tourne pour la première fois en Europe incluant une visite à Paris au Théâtre des Champs-Élysées. Le public parisien y aurait réservé un accueil difficile devant ses premières créations jugées trop « radicales ». Elle revient en 1970 pour le Festival d’Automne.
En mars 1984, à l’initiative de Rudolf Noureev, la Martha Graham Dance Company est invitée à l’Opéra de Paris pour deux soirées exceptionnelles – Hommage à Martha Graham – avec plusieurs œuvres du répertoire telles que Seraphic Dialogue, Errand into the Maze, Acts of Light et avec la participation de Rudolf Noureev dans Phaedra’s Dream. .
La compagnie de Martha Graham reviendra à l’Opéra national de Paris en 2018 sur invitation d’Aurélie Dupont avec à nouveau plusieurs pièces iconiques dont Lamentation Variations.
Le style Graham : une physicalité intense et dramatique
Le style Graham est immédiatement reconnaissable. En rupture avec le ballet classique, Martha Graham a créé un vocabulaire corporel unique fondé sur le principe de contraction (rassembler toute l’énergie au centre, dans le bas-ventre, par le souffle), et du relâchement (libérer cette énergie).
Autour de ce noyau technique s’ajoutent d’autres caractéristiques. La danse Graham, est une danse viscérale, dramatique, virtuose, parfois érotique. On parle de spirale, de respiration, d’ouverture du bassin, de dissociation. Le centre du corps est extrêmement engagé.
Grâce à sa modernité radicale, Martha Graham bouleverse la manière de penser l’espace, la respiration, le poids et l’expression dramatique. Elle révolutionne la façon de voir la danse sur scène et en studio : son style est devenu une méthode de formation et une philosophie du mouvement.
Sa signature esthétique repose sur une gestuelle anguleuse, la gravité, un rapport puissant au sol, mais aussi sur des collaborations novatrices : musiques originales, costumes sculpturaux, scénographies minimalistes mais symboliques.

Martha Graham enseignant les « pleadings ».
Source : Photographe inconnu. https://artsandculture.google.com/asset/martha-graham-teaching-the-pleadings/jAHOSE4bkEHbAw
“ Dans le corps du danseur, nous avons, nous, public, non pas à rechercher une imitation des gestes de tous les jours, ni des spectacles de la nature, ni des êtres étranges venus d’un autre monde, mais à retrouver un peu de ce miracle qu’est l’être humain motivé, discipliné, concentré.”
– Martha Graham, citée par Paul Bourcier, Histoire de la danse en Occident, Paris, Le Seuil, « Points », 1978, p. 256. La danse, qu’est-ce qui te fascine le plus : le mouvement, la musique, les émotions d’un corps qui danse ?
Ses chorégraphies emblématiques
En 70 ans de carrière, elle crée plus de 180 chorégraphies. Dès les années 1930, sa compagnie tourne aux États-Unis et à l’international, diffusant la danse moderne américaine dans le monde entier. Ses spectacles mêlent soli intenses, pièces de groupe et grandes fresques narratives.
Ces chorégraphies abordent différents thèmes en fonction de ses périodes créatives :
– Le spirituel et le mystique (Lamentation 1930, Primitive Mysteries 1931)
– L’identité américaine (Frontier 1935, Appalachian Spring 1944)
– L’inconscient et la tragédie antique (Night Journey 1947, inspirée d’OEdipe)
LAMENTATION (1930)
Dans Lamentation, Martha Graham interprète elle-même sa chorégraphie, enveloppée dans un long tube de tissu violet, élastique, qui recouvre presque entièrement son corps. Seuls le visage, les mains et les pieds affleurent. Tel une seconde peau, ce tissu figure à la fois une prison, un suaire.
Assise sur un banc, sous une lumière sobre, sur une partition de Zoltán Kodály, elle sculpte l’espace avec des mouvements contraints par le tissu. Graham fait de cette tension une matière expressive pour donner corps au deuil, à la douleur, à une tristesse universelle.
Œuvre fondatrice, Lamentation ouvre les portes de la danse moderne. La pièce ne raconte pas une histoire : elle incarne une émotion, la pure lamentation. Le public la reçoit comme une forme austère, radicale… mais pressent qu’il est témoin d’une révolution artistique.

Crédit photo : photo officielle de l’oeuvre sur le site de la Martha Graham Dance Company
PRIMITIVE MYSTERIES (1931)
Créée en 1931, Primitive Mysteries réunit douze danseuses autour de Martha Graham, qui en occupe le rôle central. Sur une musique de Louis Horst, l’atmosphère s’impose dès les premières notes : tout est sobre — costumes blancs, organisation presque rituelle.
La gestuelle, d’abord répétitive et processionnelle, se brise par moments en éclats plus vifs. Ce va-et-vient entre retenue et fulgurance installe une tension rare qui confère à la pièce son austérité singulière.
La figure féminine qu’incarne Graham évoque tour à tour la Vierge, la prêtresse ou une forme d’incarnation du divin. Considérée aujourd’hui comme l’une des œuvres emblématiques de sa période dite « mystique », la pièce fut aussitôt perçue comme novatrice : elle parvenait à unir quête spirituelle et modernité gestuelle naissante.

Crédit photo : photo officielle de l’oeuvre sur le site de la Martha Graham Dance Company
CAVE OF THE HEART (1946)
Cave of the Heart s’inspire du mythe de Médée — figure tragique de la passion jalouse portée jusqu’à la destruction. Sur la musique de Samuel Barber, Martha Graham explore les tourments de l’amour, de la colère et de la vengeance.Le décor et les accessoires d’Isamu Noguchi participent pleinement à la dramaturgie, en particulier cette corde métallique qui s’enroule autour du corps de la danseuse, symbole de l’emprise intérieure. Contractée et libérée tout à la fois, Graham donne à voir la violence des émotions.
Par cette œuvre, elle propose une lecture profondément féminine du drame antique..

Crédit photo : photo de la Martha Graham Dance Company
Martha en quelques dates
- 1894 : Naissance à Pittsburgh, Pennsylvanie.
- 1911‑1923 : élève à la Denishawn School avec Ruth Saint Denis et Ted Shawn.
- 1926 : Création de sa compagnie de danse à New York.
- 1930 : Création de Lamentation, l’une de ses œuvres les plus emblématiques.
- 1931 : Création de Primitive Mysteries.
- 1940 : Collaboration avec le compositeur Louis Horst, mentor musical et influent sur sa technique.
- 1944 : Création de Appalachian Spring, collaboration avec Aaron Copland.
- 1955 : Première tournée internationale de la compagnie (Europe, Asie, ..)
- 1970 : Retraité de la scène en tant qu’interprète
- 1954 : Première tournée européenne
- 1970 : Martha Graham Dance Company programmée au Festival d’Automne, à Paris.
- 1970s‑1980s : Enseignement et transmission de sa technique via sa compagnie et l’école Martha Graham.
- 1984 : Martha Graham Dance Company invitée à l’Opera de Paris par Rudolf Noureev
- 1984 : The Rite of Spring, sur une musique de Stravinsky.
- 1988 : Récompense pour l’ensemble de sa carrière avec de nombreux prix, dont la National Medal of Arts.
- 1991 : Décès à New York à l’âge de 96 ans.
- 1991 : Parution de son autobiographie “Blood Memory” aux USA. ( “Mémoire de la danse” en français).

“ La danse est le langage caché de l’âme.” Martha graham
Héritage et postérité
Aujourd’hui, la Martha Graham Dance Company poursuit ses tournées aux États-Unis et à l’international, mêlant œuvres du répertoire et créations contemporaines.
Elle collabore notamment avec des chorégraphes comme Hofesh Shechter, qui revisitent certains aspects de l’héritage Graham tout en en préservant l’esprit.
La technique Graham, enseignée dans le monde entier, reste vivante à travers la Martha Graham School de New York, fondée en 1970, et à Paris grâce à l’association Graham for Europe, qui propose cours et workshops.
L’influence de Martha Graham sur la danse contemporaine est immense. Son langage du mouvement perdure, un langage capable, encore aujourd’hui, de transmettre émotions, idées et récits.
Lectures à compléter avec le podcast 286, avec Aurélie Dupont

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Théa Breso
Théa danse depuis le plus jeune âge. Désormais danseuse pluri-disciplinaire, elle rêve d’une vie de danse et de voyage.
Depuis peu, elle enrichit sa pratique en posant des mots sur son art.
Les studios et les salles de spectacle sont un peu comme la continuité de son appartement.
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