L’interview de
SIDI LARBI CHERKAOUI

Crédits photo : Gregory Batardon (Sidi Larbi Cherkaoui)

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Sidi Larbi Cherkaoui est chorégraphe, metteur en scène et danseur.

Il a choisi de défendre la place du corps et de la danse pour communiquer autrement, des matériaux humains pour construire des imaginaires, fragiles et nécessaires. 

Depuis 2022, il est le directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève.

Pourquoi la danse est entrée si fortement  dans ta vie ?

La danse, c’est être dans le réel.
Le corps est cet espace où soudainement on est vraiment et qui permet de créer du lien avec le monde.  La danse ne cherche pas à acquérir quoi que ce soit d’autre que d’avoir un contact avec l’autre et avec soi-même. Elle est une chorégraphie du corps humain.

Je m’interroge sans cesse sur la malléabilité du corps humain, son intelligence et la manière dont il résout les problèmes qui se présentent à lui. Ce que j’ai beaucoup aimé en dansant, c’est justement de voir que le corps arrivait à me faire réfléchir plus entièrement, à parler autrement. 
Les choses primaires sont les seules choses qui selon moi ont de la valeur : dormir, boire, manger, le contact physique ; et la danse fait partie de cela.
Les danseurs ont ce besoin essentiel de bouger ensemble pour créer quelque chose de toujours plus grand et plus fort.

La danse est un art sacré parce que relié à l’existence mais aussi très concret. Dans la physicalité du mouvement, en inspirant et expirant et dans tous les interstices, on peut rencontrer une forme de plénitude et peut-être même de bonheur.

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« Oui, on peut trouver du bonheur en dansant. »

SUTRA de Sidi Larbi Cherkaoui avec les moines Shaolin

Es-tu toujours autant émerveillé par ce que permet la danse ?

Dès que je vois un spectacle, je vois toujours le potentiel des choses. J’ai toujours aimé les idées incomplètes, capter les intentions et chercher jusqu’où l’œuvre pourrait aller. Bien sûr, lorsqu’un spectacle est incroyable, c’est tout aussi beau. Mais les choses imparfaites offrent un endroit pour l’imagination parce que cela peut devenir mieux. Depuis toujours, j’aime cette idée que quelque chose de fragile va trouver sa forme.
J’aime bien rester dans cet espace flou parce qu’il permet plusieurs sorties et une fois qu’on a dit “non, on va le faire comme ça”, c’est presque plus dur pour moi parce qu’une réalité l’emporte. Avec le spectacle vivant,  j’aime changer quand j’ai l’impression qu’il y a plusieurs réponses possibles. Ainsi, cela reste fragile comme si on était encore en train de construire. Voir des gens qui construisent quelque chose, c’est vraiment pour moi, ce qu’il y a de plus beau.

« J’aime cette idée qu’une danse est fragile. »

Trouves-tu que la danse est à la bonne place parmi les autres formes d’art ?

La musique est omniprésente dans notre quotidien alors que la place de la danse est plus complexe. La danse est tellement personnelle que les repères de ce qui est beau ou non sont ancrés dans notre propre corps.

J’essaie de défendre la danse dans tous les domaines : lorsque je fais du cinéma, de l’opéra ou un concert, j’y ajoute la danse. C’est la forme d’art qui m’a le plus conquis, qui m’a le plus guéri, qui m’a le plus pris et qui m’a le plus protégé. 

Nous ne savons pas comment donner de la valeur à cet art révolutionnaire.  Pourtant, ce n’est pas pour rien qu’il y a des pays où nous n’avons pas le droit de danser, car l’on sait à quel point la danse permet de se connecter avec les autres et d’être une voix collective.

« la danse permet de se connecter avec les autre et d’être une voix collective. »

Aujourd’hui, que retiens-tu de ton parcours ?

Le plus important pour moi est d’être conscient que nous ne sommes pas ce que les gens se rappellent de nous. Notre vie est faite de diverses expériences, et ce qui m’a le plus servi, c’est ma mémoire pour  me rappeler des moments de ma vie sur lesquels je pouvais construire. Alors oui, j’ai étudié à P.A.R.T.S, mais j’ai également fait une autre école de danse moderne et classique ; j’ai aussi  dansé pour la télévision, et ces diverses rencontres m’ont permis de changer de direction et de répondre au monde d’une nouvelle manière.
Donc il y a des gens avec qui je travaille depuis 23 ans, d’autres avec qui je viens tout juste de commencer, et il est important de dire à quel point nous avons tous besoin les uns des autres.

Fractus V de Sidi Larbi Cherkaoui

On te dit « auteur de toutes les danses ». Quel type de danse veux-tu donner à voir ?

Je ne pense pas être auteur de toutes les danses. Mais certaines choses m’intéressent plus que d’autres, alors je continue de me laisser guider là où mon âme se reconnaît afin de sortir de ma zone de confort. 

C’est pourquoi je veux donner à voir une danse changeante en fonction des personnes avec qui je danse et avec qui je collabore. Par exemple, avec les danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève, j’ai réussi à avoir des conversations de fond. Leur ouverture, nous permet un travail de groupe incroyable.

Depuis 23 ans, j’ai une relation fusionnelle avec le chorégraphe Damien Jalet. C’est un chorégraphe admirable qui produit un travail fabuleux.. L’inviter en tant qu’artiste associé au Ballet du Grand Théâtre de Genève me paraissait évident. Depuis, c’est un réel bonheur de voir à quel point ses pièces emblématiques (Skid ou Tr(o)ugh par exemple) sont réincarnées et réinventées par les danseurs de Genève.

D’avant / Chorégraphes : Sidi Larbi Cherkaoui & Damien Jalet (2002)
Babel(Words) / Chorégraphes : Sidi Larbi Cherkaoui & Damien Jalet (2010)
Boléro d’après Ravel / Chorégraphes : Sidi Larbi Cherkaoui & Damien Jalet (2013)

Peux-tu nous parler de ta dernière création Ukiyo-e ?

Ukiyo-e est ma toute nouvelle création avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève. Il s’agit d’une pièce tendre et douce sur le collectif, le soutien, la confiance. Les 22 danseurs incarnent des personnages innocents voulant soutenir les autres. Mais ici réside une complexité chorégraphique, car la tendresse est bien plus difficile à représenter sur scène que la violence. Par ailleurs, Ukiyo-e est aussi une ode à Philippe Cohen, l’ancien directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève qui nous a quittés l’année dernière.


Dans ce spectacle, j’ai voulu que les arts se croisent : 
– Au centre de la chorégraphie, le poème de Kae Tempest « Hold your Own » (= Tiens bon, prend soin de) permet de créer une rupture temporelle : l’avant et l’après. 
– Le décor, imaginé par le scénographe Alexander Dodge, représente des escaliers tournant en rond prenant des allures de ponts japonais, de labyrinthe ou de monde des ténèbres.

Dans cette création, je rends compte des impressions que j’ai eues du Japon parce que ce pays est un espace d’inspiration fondamental pour moi. Dans Ukiyo-e, les images font sens avec le monde d’aujourd’hui.

Ukiyo-e (Teaser) de Sidi Larbi Cherkaoui
Une de ses créations

La première : Rien de Rien en 2000

UNE COLLABORATION AVeC DAMIEN JALeT

D’avant : un spectacle en collaboration avec Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola, Luc Dunberry et évidemment Damien Jalet en 2002

Extraits du podcast EP. 180. Propos recueillis par Dorothée de Cabissole

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Théa Breso

Théa danse depuis le plus jeune âge. Désormais danseuse pluri-disciplinaire, elle rêve d’une vie de danse et de voyage.
Depuis peu, elle enrichit sa pratique en posant des mots sur son art.
Les studios et les salles de spectacle sont un peu comme la continuité de son appartement.
Théa est stagiaire chez Tous Danseurs.

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