L’interview de Pietragalla
et JULIEN DErouault
THÉÂTRE DU CORPS

Crédit photo : Pascal Elliott (Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault)

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Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault se lancent dans un nouveau défi en créant un centre de formation pluridisciplinaire pour les danseurs de demain. Avec le lancement de leur CFA*, ils préparent les jeunes danseurs à un monde professionnel en mutation.
Pietra et Julien poursuivent leurs rêves d’artistes libres, exigeants et engagés.
*CFA : Centre de formation d’apprentis

Pietragalla, Julien, je vous laisse vous présenter avec vos mots.

Pietragalla : Marie-Claude Pietragalla, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, fondatrice du Théâtre du Corps avec Julien Derouault et chorégraphe. Amoureuse de la danse dans sa pluralité. 
Julien Derouault : Julien Derouault, danseur et chorégraphe du Théâtre du Corps. Amoureux de la danse également et passionné par le mouvement.

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Pietra, tu dis souvent que tu es une Femme qui danse. Et toi, Julien, es-tu un Homme qui danse ?

Pietragalla : Absolument. Au-delà de la danse et de la performance physique et technique, ce qui est le plus intéressant dans la danse, c’est l’humain. Ce n’est pas dissociable. Nous sommes des hommes et des femmes qui dansent. C’est cela qui me plaît, me percute en tant que danseuse interprète, mais surtout aussi en tant que chorégraphe. Se confronter à ce qui nous constitue en tant qu’être humain, en permanence, à travers le mouvement, à travers le corps, c’est cela qui est beau.

Julien Derouault : Je ne sais pas si je suis un homme qui danse, mais c’est vrai que ce qui nous intéresse dans la danse, dans la chorégraphie, c’est d’utiliser le vocabulaire, la grammaire des différentes disciplines, des danses. C’est pour cela que l’on a travaillé beaucoup d’esthétiques différentes. Ce qui est important est ce que l’on raconte. Ce vocabulaire, ce n’est pas seulement le fait d’écrire en soi qui nous intéresse, c’est plus de savoir où l’on va. Qu’est-ce qui, émotionnellement, se dégage d’un mouvement ? Les techniques des danse sont différentes. Elles ont toutes des choses à s’apporter. Nous sommes très sensibles en tant qu’artiste à ce que dégage un artiste sur scène, sa présence, son humanité. C’est ce qui nous fait vibrer, c’est cela qui nous inspire. 

L’humain est le cœur de la machine. Est-ce le départ de tout ?

Pietragalla : Oui, c’est le « Théâtre du Corps ». C’est ce qui nous constitue, nous fait avancer. C’est l’humain à travers son imaginaire, ses rêves, ses prises de position, son engagement social, politique. L’humain est complexe et en même temps, c’est cela qui est magnifique parce que nous sommes tous empreints de ces mécanismes. Aller à la découverte de l’autre, à travers les émotions, les sensations et même l’inconscient. Nous travaillons beaucoup sur l’inconscient des personnages avec Julien.
Qu’est-ce qui nous appartient, ne nous appartient pas ? Quel est le sac à dos que l’on traîne en permanence et qui nous appuie, qui nous pèse ? Est-ce que l’on est capable de s’en libérer, de créer son propre chemin ? C’est tout cela qui est passionnant à travers la danse, à travers le corps en mouvement. C’est de pouvoir déceler et dévoiler cette part d’humanité. 

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Crédit photo : Pascal Elliott

Est-ce que vous vous surprenez encore dans la combinaison de vos deux êtres ?

Pietragalla : Oui, on arrive à se surprendre. Que ce soit avec nos danseurs, la compagnie ou lorsque l’on est individuellement sur scène. L’un va prendre le rôle du metteur en scène et l’autre, de l’interprète et vice versa. Quand je vois Julien sur scène, je suis toujours surprise de tout ce qu’il va me proposer, comment le spectacle va évoluer. Je pense que c’est la même chose de son côté et c’est ce qui est beau.
Souvent, le chorégraphe, le metteur en scène a un rôle de détonateur. Il va pousser l’artiste à aller dans des chemins inconnus, à pousser des portes, à explorer des choses. L’interprète, et c’est pour cela que j’ai toujours dit que l’interprète était créateur, va emmener le spectacle dans un chemin que le chorégraphe n’aurait peut-être pas imaginé. Il a cette force de proposition. Tout d’un coup, nous n’avons pas en face de nous des exécutants. Lorsque l’on a ces trois casquettes : chorégraphe, metteur en scène et même interprète, c’est très intéressant.

Julien Derouault : C’est ce qui fait notre spécificité. On nous dit souvent « Mais vous, ce n’est pas pareil puisque vous êtes des danseurs ».
Pour nous, la chorégraphie est d’une certaine manière de la haute couture. D’ailleurs, elle l’a été historiquement.
Avant, on ne savait même pas qui était le chorégraphe, on venait voir les danseurs. Personne ne savait qui était Michel Fokine. On venait voir Nijinski, point barre. On a senti au fur et à mesure du 20ème siècle (et c’est la même chose au théâtre), que le metteur en scène, le chorégraphe prenaient une place qui est devenue très importante dans nos sociétés, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays.
Nous, nous sommes d’abord des danseurs. Comment habiller un artiste, comment structurer son talent ? sont les questions que nous nous posons pour imaginer une chorégraphie. Essayer de trouver quelque chose qui parte de lui, c’est ce que l’on instaure avec nos danseurs.

« Être un passeur, c’est très important. » JULIEN DEROUAULT

Il y a un sujet qui vous tient à cœur, c’est la démocratisation de la danse. Casser les barrières de l’accès à l’émotion, et de la compréhension de la danse.

Pietragalla : Tout public doit voir de la danse, et doit avoir accès à la culture. Le mouvement est le premier langage de l’homme. Il ne devrait pas y avoir de barrières. Les gens devraient pouvoir pousser la porte des théâtres sans se dire que ce n’est pas pour eux. S’il y a encore du chemin à faire à partir de ce moment-là, il faut aussi que les artistes soient conscients que c’est peut-être aussi à eux de faire le chemin, de démocratiser mais au sens noble du terme. Dès que l’on dit qu’un artiste est populaire, qu’il a démocratisé son art, c’est vu d’une façon péjorative. Ce n’est pas le cas, au contraire. Je trouve que c’est tellement plus difficile de faire participer tout le monde plutôt que d’être dans une niche et d’avoir 100 personnes dans la salle. Faire une œuvre ou un spectacle qui percute les gens dans le plus grand nombre, c’est cela qui est difficile.  Je trouve que c’est important. C’est une façon d’être un artiste citoyen, de vivre dans son époque, de voir les manques de la société et d’essayer modestement de faire avancer les choses. On ne va pas révolutionner, on n’en a pas les moyens, on n’a pas le pouvoir de le faire. Mais au moins à son échelle, essayer d’aller vers les autres, expliquer ce qu’est ce métier, emmener des spectacles ailleurs, dans d’autres lieux. Il n’y a pas que nous qui le faisons. Plein de chorégraphes l’ont déjà fait. Maurice Béjart l’a fait. Il a emmené la danse dans des stades, il a fait des choses incroyablement révolutionnaires. C’est notre pouvoir. C’est aussi remettre en question cette façon de faire, chacun de son côté, alors que si on se réunissait tous, nous serions tellement plus forts. Notre force de proposition serait bien plus importante et l’on serait obligé de nous écouter.

Julien Derouault : Artistiquement, c’est pour nous un moteur.
Pour moi, il y a aussi la volonté de redistribuer ce que l’on m’a donné. Mes parents n’avaient pas une pratique culturelle importante. Je n’étais pas dans un milieu et dans une époque où j’avais accès à la culture. J’ai eu la chance de voir des artistes comme Patrick Dupond, Maurice Béjart à la télévision, et donc devant du grand public. Gamin, je faisais partie de ce public. Ces danseurs ont été des passeurs. C’est comme pour la poésie. S’il n’y avait pas eu Léo Ferré, je n’aurais pas été aussi passionné de poésie. Léo Ferré a été ce passeur qui m’a fait découvrir Aragon, Apollinaire, etc. Être un passeur, c’est très important. Je me suis toujours dit qu’il fallait que je redonne.

Crédit photo : Pascal Elliott (Pietragalla et Julien Derouault)

Est-ce qu’il vous reste des rêves ?

Pietragalla : Oui, plein. C’est cela qui est beau. Dans nos métiers, il y a tellement de choses que nous n’avons pas encore exploré et que nous avons envie de faire. C’est évident qu’il reste des choses à faire, heureusement d’ailleurs. C’est comme cela que l’on avance. 
Pour être un artiste, il faut être un peu inconscient.
La danse, c’est de l’amour. J’ai envie de dire aux danseurs « Aimez-vous, fédérez-vous, ne soyez pas seul. Regroupez-vous, discutez, échangez, confrontez vos idées mais ne restez pas seul ». C’est vraiment le plus important. 

Julien Derouault : Je pense que le rêve est un moteur extraordinaire, non seulement pour les artistes mais aussi pour toute une société. Une société qui ne rêve plus est une société qui est bloquée et qui n’avance pas. On avait fait un spectacle qui s’appelait Mr et Mme Rêve et qui abordait ce sujet. C’est très symbolique de notre parcours. Nous, on rêve d’abord et après on s’habille pour pouvoir le réaliser et pour gravir cette montagne. Parfois, on se fait des rêves tellement immenses qu’on se dit que la montagne est trop haute. On est assez inconscient pour partir et se dire qu’on ne regarde jamais derrière.
La pensée est créatrice et le rêve est un moteur.
Aujourd’hui, si nous nous mettons à rêver le monde de demain ou la culture de demain, elle va arriver. C’est justement quand nous partons du principe que le système est verrouillé qu’il reste verrouillé. À partir du moment où l’on décide de contourner l’obstacle, de le transformer, de faire autre chose ou d’inventer des bottes magiques pour pouvoir sauter au-dessus de l’obstacle comme un danseur ferait un grand jeté, alors tout d’un coup les choses se réalisent. L’être humain est fait de cette manière assez incroyable qui fait qu’à partir du moment où on se projette dans son rêve, il nous y emmène. C’est ce que nous avons envie de transmettre et de léguer.

Extraits du podcast EP.61. Propos recueillis par Dorothée de Cabissole
Dorothée de CabisSole

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