L’interview de
silvère jarrosson
peintre en mouvement

Crédits photo : Julien Benhamou

LECTURE

10 min

DATE
PAR

Partager cet article



Silvère Jarrosson a choisi le mouvement comme matière à façonner dans ses tableaux. La peinture est pour lui de l’art vivant. Après un parcours de danseur classique, la toile est devenue son support pour conserver à jamais la mémoire du mouvement. Silvère peint de l’abstraction lyrique, les sensations de la danse.

Silvère, comment aimes-tu te présenter ?

J’aime bien reprendre cette phrase que j’utilise souvent “Danseur immobile, peintre en mouvement.”
En fait, j’ai commencé par être danseur, mais à la suite d’une blessure, je bouge désormais dans la peinture. Donc, je suis peintre en mouvement.

LECTURE

15 min

DATE
PAR

Partager cet article

Pourquoi es-tu qualifié de « peintre en mouvement »?

J’ai une façon de créer qui est complètement inspirée du mouvement. Cela vient effectivement de mon parcours de danseur et donc j’ai cette référence permanente au mouvement. Comment le mouvement peut créer ? Comment le mouvement peut permettre de s’exprimer ?
Je travaille avec de la peinture acrylique, au moins pour les premières couches. Cette peinture acrylique très liquide est mélangée avec beaucoup d’eau et coule sur la toile posée à l’horizontale.

Il y a un côté très organique et très physique. J’aime bien prendre de très grands formats de toile. Je verse des litres de peinture que je manipule en penchant la toile. Donc finalement, la peinture va se mettre à couler. Il y a des formes qui vont apparaître. C’est le début du processus. Évidemment, il y a plusieurs couleurs qui vont se déformer sur la toile. Avec l’habitude, j’anticipe la déformation des couleurs par mes mouvements. Il y a une sorte de chorégraphie qui se crée sur la toile. « 

Comment est venue cette idée de mettre du mouvement, de considérer ta toile comme un partenaire? 

C’est un cheminement.
A 18 ans, j’étais encore un petit rat à l’Opéra de Paris, en première division et je me suis blessé. En l’espace de quelques jours, je suis passé d’une vie rêvée de danseur au grand vide.
Après cela, il y a eu des mois de flottement. Mais j’avais 18 ans et la vie devant moi. Il y avait quand même quelque chose qui m’ habitait profondément, c’était la mémoire de la danse. C’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas. Ton corps en est imprégné et tu en as besoin. Par conséquent, il faut penser autrement. Il faut danser sans danser et trouver une autre façon de retrouver ses sensations. J’ai choisi la peinture. Elle bouge, je mets de la musique pour être dans ma bulle, je réfléchis sur mon corps, mes mouvements, ma musicalité. Je crée quelque chose. Je ramène le corps dans la peinture en lui donnant une place dans le processus du peintre. « 

Silvère Jarrosson dans son atelier par Julien Benhamou

“Il faut danser sans danser
et trouver une autre façoN
de retrouver ses sensations.
j’ai choisi la peinture.”

Comment te représentes-tu la danse ?

Comme je viens de l’opéra, il y a quelque chose de vraiment ancré dans le classique. J’ai une vision de la danse peut-être un peu old school* mais pour moi cela reste une question de fluidité, de légèreté et de lyrisme. C’est la formation que j’ai reçue et c’est ce qui m’intéresse. Et c’est ce que je mets dans mes tableaux : quelque chose de fluide, léger et libre aussi.  Par exemple, en peinture, on me dit que je fais partie de l’abstraction lyrique qui est un courant pictural. Et c’est drôle de retrouver le mot lyrique à la fois dans le monde de l’art, de la peinture, et sur scène : l’opéra lyrique, la danse lyrique. Ce terme de lyrisme est bien celui-là : la jonction entre un danseur lyrique et un peintre lyrique. 
* vieille école

Les Plis réalisé par Gabriel Mokayed sur le travail de Silvère Jarrosson

On est dans l’émotion, la sensation avant d’être dans l’explication. Qu’est ce qui t’émeut dans ce que tu fais ? 

Ce que je trouve assez fascinant au quotidien, c’est de voir tout ce que la peinture est capable de faire. Je me vois un peu comme un maître de ballet ou un chef d’orchestre. Ce sont mes mouvements qui engendrent ceux de la peinture. Je supervise la toile, mais il y a beaucoup de choses qui se font sans que je les contrôle. Et tant mieux d’ailleurs. Du hasard. Et c’est assez incroyable. Je peins ainsi depuis 10 ans et il y a toujours des surprises. Je me dis parfois que la peinture est un matériau vivant qui ne réagit jamais de la même façon. Découvrir tout ce que la peinture acrylique est capable de faire renouvelle beaucoup ma façon de travailler. D’ailleurs, je me suis mis à travailler aussi un peu avec la peinture à l’huile. Et c’est un monde en soi, un univers à explorer sans fin. 

Crédit photo : Silvère Jarrosson par Julien Benhamou

Tu a récemment fait des décors en tant que scénographe pour « Danser Schubert au 21e siècle » du Ballet de l’Opéra du Rhin

Absolument. C’était incroyable. Quelle aventure !
Depuis des années, je voulais peindre des décors de scène. Beaucoup d’artistes l’ont fait. Y compris Olivier Debré avec qui j’ai exposé et qui a travaillé sur les décors de Signes de Carolyn Carlson.
C’est tellement cohérent de partir de la danse pour aller vers la peinture et de rapporter la peinture sur le plateau pour qu’elle retrouve les danseurs : un aboutissement ultime. Je rêvais de faire ça.
Quand Bruno Bouché, le directeur du Ballet du Rhin, m’a contacté il y a un an pour me proposer ce projet, j’étais dans l’euphorie la plus totale.
Ce ballet qui s’appelle « Danser Schubert au 21e siècle » est une succession de pièces de jeunes chorégraphes de la compagnie. Mon apport en tant que scénographe était de créer le décor pour unifier l’ensemble des œuvres au plateau. La musique de Schubert constitue également un fil conducteur. Cette musique correspond très bien à mon travail. Schubert parle beaucoup du voyage alors qu’il n’a jamais voyagé, ce qui est paradoxal. On comprend ainsi que chez Schubert, le voyage imaginaire est un espèce de fantasme. Ce n’est pas le voyage réel mais le voyage personnel, dans son monde intérieur. C’est quelque chose que l’on peut retrouver assez facilement dans mes œuvres. En tout cas, c’est comme cela que moi je vis ma peinture.
Il y a également le sujet de la dimension qui s’impose. C’est immense comparé à ce que je fais habituellement. Le décor était de cinq mètres sur dix mètres quand mes plus grands tableaux sont en deux mètres par trois mètres. La dimension apporte un côté immersif. Dès que le rideau se lève, vous êtes face à un monde de 5 mètres sur 10 mètres de coulures, textures, et couleurs.

Pour la scénographie, je ne voulais pas me limiter et reproduire mes tableaux en plus grands. Donc il y avait la question de comment tout cela allait être exposé dans l’espace.
Les chorégraphes avaient différents besoins. Certains souhaitaient un espace très intime. D’autres, toute la surface de la scène. J’ai donc proposé différents panneaux mobiles et modulables. Parfois, le plateau est très ouvert, à d’autres moments, il se referme, etc. Au moment du montage, on a pris le parti de faire bouger les décors. Ce n’est pas le rideau qui se lève mais les décors qui s’animent et se déplacent. Ainsi le décor danse.

Cette première fois me donne l’envie de multiplier ce type de projet.
Comment ma peinture peut prendre place dans des ballets ou dans des opéras ? Comment peut-elle vraiment devenir un objet scénographique ?

Crédit photo : Julien Benhamou
Extraits du podcast EP. 101. Propos recueillis par Dorothée de Cabissole

Partager cet article

Dorothée de CabisSole
  • Abonnez-vous au podcast
  • icon fleche
  • Apple podcast
  • Spotify podcast
  • Deezer podcast
  • Google podcast
  • Apple podcast
  • Spotify podcast
  • Deezer podcast
  • Google podcast