Réappropriation culturelle
la danse électro

Crédits photo : AMBRR (extrait de Rave Lucid – une création 100% danse électro)

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La compagnie Mazel Freten présente Rave Lucid, un ballet de danse électro, en tournée dans toute la France (1).

L’énergie, c’est par là que tout commence

Ce qui me fascine avec les danses urbaines c’est ce mélange entre l’impressionnante technicité, la virtuosité, les valeurs d’humanité. Et l’énergie. On est d’accord, il se passe quelque chose de singulier et d’unique dans une salle de spectacle quand on assiste à une création ou un battle de danses hip hop.
Quelque chose de l’ordre de l’urgence, du cri, de l’envie d’être là. Quelque chose de l’ordre de la liberté aussi. A l’origine les danses urbaines sont apparues comme une alternative possible à un système, un mouvement institutionnel où tous ne trouvent pas leur place.

On ne va pas débattre du vocabulaire adéquat à employer : danses urbaines, danses hip hop. Même si c’est passionnant et infini. Ici il va s’agir de danse électro, première danse française qui n’a pas besoin d’étiquette supplémentaire, ni de marque pour exister à travers le temps. Elle prend son essor en 2006 dans les clubs parisiens – elle fait partie de ces danses indissociables du style musical sur lequel elle se danse, en l’occurrence l’électro/house, la techno. Elle s’est rapidement popularisée par le bouche-à-oreille grâce à des vidéos postées sur Youtube puis lors de la Techno Parade 2007 de Paris. Mais, même si elle est née dans les clubs, elle reste underground. Youval, SteadyGun et Hagson, figures incontournables de la culture hip hop en France et à l’international la font sortir des discothèques en créant les battles Vertifight en 2007. 10 000 danseurs électro se répartissent alors dans toute la France. Les premiers « crews » – groupes de danse – voient le jour.  En France, les plus connus sont Alliance Crew, RK, Electro Street.

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Crédit photo : AMBRR 

Parlons technique

La danse electro se distingue essentiellement par les mouvements de bras très rapides, lancés de façon ultra musicale. Les danseurs et danseuses électro s’appellent respectivement les Eboï (pour les hommes) et les Equeenz (pour les femmes). Dans les boîtes de nuit il y avait l’idée d’imiter les formes que peuvent prendre des glow stick, ces bâtons qu’on craque pour faire de la lumière fluorescente en construisant des formes avec ses bras, avec ses mains. Comme beaucoup de danses urbaines elle se mêle alors de plusieurs techniques : le tetris ou tutting (le danseur dessine avec ses bras ou ses mains une succession de figures angulaires à 90 degrés), le flexing ou bone breaking (des mouvements de contorsion qui défient les limites du corps humain).  Certains s’inspirent même du waacking (2) ou encore du breaking (2). C’est aussi une danse dite « sociale », une danse d’expression et de connexion. Spontanée, engagée et viscérale, au-delà de sa virtuosité, elle fait alors appel aux ressentis et à l’émotionnel. Et peut permettre de libérer les corps et le mental.

Crédit photo : Camille Minam Borier

Electro partout, tecktonik nulle part

Cette danse typiquement française s’est exportée mondialement grâce à l’expansion des réseaux sociaux (Facebook est accessible dans le monde à partir de septembre 2006) et d’évènements internationaux comme les battles. En décembre 2010 Blanca Li, chorégraphe franco-espagnole touche-à-tout, crée Elektro Kif, le premier spectacle théâtral centré sur la danse electro, après l’avoir découverte des années plus tôt dans un jardin public où dansait un groupe de lycéens.
Grand succès ! Suivra en 2015 le film Elektro Mathematrix, comédie musicale urbaine sensible et déjantée, sans parole intelligible et entièrement chorégraphiée. On voit des danseurs et danseuses electro partout : dans des spectacles (Résiste, les 3 Mousquetaires, Bliss du chorégraphe Anthony Egéa…), des campagnes publicitaires (Balmain, Vogue…) et autour de stars de la chanson (Mathieu Chedid, Christine and the Queens, Soprano…).

A noter qu’une communauté active, notamment grâce au Performance, lieu entièrement dédié à la danse hip hop, tenu par la compagnie Rêvolution à Bordeaux, a fait éclore la compagnie Kaminari de Brice Rouchet et son spectacle Birds (3).

Une génération qui s’engage

Brandon Masele dit « Miel », l’un des ambassadeurs français de la danse electro, et Laura Defretin dite « Nala », une pointure reconnue et influente de la danse hip hop, se rencontrent en 2015. Leur première création Untitled (2017) est le fruit de la confrontation de leurs gestuelles, de leurs identités, dans leurs différences et leurs similitudes. Elle remporte de nombreux concours dont le 1er prix au concours Transe du festival Les Trans’urbaines à Clermont Ferrand.

Tous deux s’investissent en parallèle dans la transmission de leurs cultures et danses respectives, avec le souhait de faire perdurer à leur tour ce que leurs mentors leur ont appris. C’est le mode d’apprentissage principal des danses hip hop. Laura crée en 2018, en partenariat avec Nike, la formation INTRO, pour accompagner spécifiquement les jeunes femmes à se professionnaliser dans la danse hip hop. Brandon, quant à lui, fait le constat qu’il n’y a pas plus de 50 danseurs et danseuses electro en région parisienne en 2020. Avec Achraf Jendane Bouchefour dit « H » ils décident de créer une formation dédiée au développement d’une nouvelle génération et au rayonnement de la danse electro. La Planke est née.

Brandon et Laura prennent ainsi le chemin tracé par des figures importantes du milieu qui croient, à raison, en leur capacité d’autodétermination. Les danses urbaines sont une source d’inspiration et un encouragement à se jouer des systèmes en place : d’itinéraires souvent en marge des parcours « classiques » les danseurs et chorégraphes issus de la culture hip-hop n’ont de cesse de renouveler les cadres, les esthétiques et les formats. Par leur présence dans le paysage culturel ils proposent une nouvelle vision et de nouvelles règles. A l’image du collectif FAIR[E] nommé à la direction (4) du CCN de Rennes et de Bretagne en 2020 et qui bouscule depuis les codes établis par les institutions. Il se distingue notamment « par une vision de gouvernance innovante, de nouveaux modes solidaires de production » (5).

Crédit photo : AMBRR

Rave Lucid ou pourquoi la danse electro va tous nous retourner

La pièce a été créée le 8 mars 2022 au Splendid à Saint-Quentin dans le cadre du Golden Stage Tour. En attendant de pouvoir la découvrir, quelques privilégiés ont pu assister à une étape de travail en décembre dernier à La Villette, qui accompagne la compagnie Mazel Freten depuis ses débuts via le programme historique Initiatives d’Artistes en Danse Urbaines (IADU) (6).

Pour la première fois Brandon et Laura se lancent dans une production avec 10 danseurs au plateau sur une bande son originale entièrement conçue par NikiT, musicien électronique et producteur parisien qui l’a créée en un peu moins d’un an. Au programme musique (très) rapide, dark techno et mouvements frénétiques. Je trouve la danse electro particulièrement impressionnante lorsqu’elle est dansée à plusieurs : la synchronicité des mouvements est alors sidérante. L’écriture de groupe est originale et d’une précision extrême : les grands ensembles sont hypnotiques et rappellent les ballets de danses classiques les plus rigoureux, où les fouettés seraient remplacés par les mouvements de bras. La musique amplifie les battements de cœurs à l’unisson et les corps font caisse de résonnance. Les danses de groupe alternent avec des moments plus calmes (les interprètes peuvent alors souffler un peu) où trios, duos, parfois solos révèlent une palette éclectique de danseurs et danseuses aux personnalités chacune bien marquées.
On ressent alors ce qui se joue dans le rapport à l’autre lorsque l’on danse, avec autant de convictions et d’engagement. La création des lumières, par Judith Leray, constitue un défi de taille : elles viennent souligner les références multiples à la fois à la complexité de l’underground et aux ambiances pop colorées du clubbing. Parfois un DJ set est proposé à la fin du spectacle. Parfaite conclusion de ce moment d’euphorie où la meilleure manière de comprendre une culture est de la partager.

Crédit photo : Vision Gdsn

(1) Toutes les dates sur mazelfreten.com
2) Pour en savoir plus sur les techniques de danse, lire Danses hip-hop, breaking et danses debout de David Berillon, Thomas Ramires, Lahcen Mustapha (collection De l’école aux associations)
(3) La première a eu lieu le 28 janvier 2022 à l’Espace Culturel du Bois fleuri à Lormont (05)
(4) Bouside Aït-Atmane, Iffra Dia, Johanna Faye, Céline Gallet, Linda Hayford, Saïdo Lehlouh, Marion Poupinet et Ousmane Sy en sont les co-directeur.ice.s
(5) Extrait de l’annonce de la nomination du collectif par l’ACCN (Association des Centres Chorégraphiques Nationaux)
(6) Lancé conjointement en 1998 par la Fondation de France et le Parc de la Villette, Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines est un programme de soutien à la création en danses urbaines. Il accompagne la professionnalisation des danseurs et chorégraphes sous différentes formes : formation, résidences, aide à la production, diffusion et mise en réseau.

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ROSE-AMELIE DA CUNHA

Militante et observatrice, témoin de ce que la danse produit de beau mais aussi de ce qu’elle soulève comme enjeux sociétaux, elle avance avec l’objectif de veiller à la bonne représentativité de toutes les minoritésde soutenir ceux qui ont du mal à trouver leur place, et de participer à la transformation de la danse de demain.

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